Le premier dinosaure dans l'espace...

Note : ceci est le partage d'un article que j'ai rédigé pour mon blog Jurassic Park

Au cours de l'été 1985, un premier dinosaure a été envoyé dans l'espace par la NASA. Et non, c'est pas une blague. 

Il aura fallu 80 millions d'années pour que cette anecdote devienne possible.

Le 29 juillet 1985, la mission navette STS-51-F décolle de Cap Kennedy avec à son bord sept membres d'équipage pour un séjour d'une semaine dans l'espace. L'objectif de la mission est de faire diverses expériences scientifiques avec le module Spacelab-2 qui se trouve dans la soute du vaisseau. 

Parmi les choses qui retiennent l'attention de cette mission en particulier, il y a la présence d'un dinosaure ou plus précisément de morceaux d'ossements et de coquilles d’œufs de Maiasaura, un dinosaure à bec de canard de la fin du Crétacé. 

La mission revient sans encombre et le Maiasaura peut donc se targuer d’être le premier dinosaure à avoir été dans l'espace. Un deuxième dinosaure, un crâne de Coelophysis, fit le même voyage en 1998 et séjourna à bord de la station spatiale russe Mir. 

Mais pourquoi donc a-t-on eu cette idée farfelue d'envoyer un dinosaure dans l'espace ? Pour faire renaître la flamme de la passion des dinosaures dans le grand public ? En réalité, l'explication est plus compliquée que cela. Car bien plus que les dinosaures, c'est l'espace qui n'avait plus vraiment l'attention du grand public étasunien en 1985. 

L'envoi d'un dinosaure dans l'espace constitue une "première" dans l'exploration spatiale. Mais pour autant, il ne faut pas confondre cela avec la course à l'espace qui existait entre Étasuniens et Soviétiques dans les années 1960 car cette dernière période était tout simplement terminée depuis déjà longtemps lorsque STS-51-F s'élance vers les cieux. En effet, en 1985, cela fait déjà quinze ans que les Etats-Unis ont gagné la course en tenant le pari lancé par le président John Fitzgerald Kennedy (dont j'ai parlé ici il y a quelques semaines) en 1961. L'URSS fut enfin battue par les USA en faisant débarquer Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune avec la mission Apollo 11 le 21 juillet 1969. A la suite de ça, les Russes sont KO et n'ont plus les moyens techniques et financiers de continuer une course comme celle qu'ils viennent de perdre (le programme lunaire soviétique N1-L3 qui devait permettre le débarquement de cosmonautes sur la Lune pour faire aussi bien que les six missions Apollo réussies sera abandonné au milieu des années 1970). 

La réconciliation est par ailleurs scellée dans l'espace en 1975 par la mission Apollo-Soyouz qui voit des astronautes américains rencontrer en orbite des cosmonautes russes lors d'une historique mission conjointe. 


En fait, et quitte à briser un mythe, l'envoi d'un dinosaure dans l'espace n'est qu'un coup de pub pour la NASA. Désolé.

Le désintérêt pour l'espace semble aujourd'hui fort lointain dans le contexte actuel où les projets de retours sur la Lune sont légions (entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Europe, le Japon et l'Inde, on ne va pas s'ennuyer dans les prochaines décennies) et où l'on commence doucement à envisager sérieusement de faire débarquer des êtres humains sur Mars dans une vingtaine d'années. Mais à partir des années 1970, l'espace ne fait plus rêver l'opinion étasunienne. 

En effet, il ne faut jamais oublier que la raison pour laquelle des Hommes partent dans l'espace pour de grandes missions n'est pas portée par la science mais d'abord par la politique. Sans intérêt politique dans un objectif spatial, aucun pays ne met l'argent nécessaire pour le mener à bien puisque que jamais un état ne dépenserait cent milliards de dollars juste pour la science.

Si l'Homme est allé dans l'espace et ensuite sur la Lune, c'est uniquement pour cette raison. Le programme Apollo a eu accès aux 150 milliards de dollars nécessaires parce qu'il y avait un énorme enjeu politique et idéologique face à l'Union Soviétique. Dans le contexte de la Guerre Froide, il s'agissait de montrer que le modèle du capitalisme US était plus efficace et meilleur sur tous les points que le communisme russe. Sauf qu'une fois que l'objectif politique est atteint par les Etats-Unis avec Apollo 11, la course est terminée et un tel investissement dans le spatial perd grandement de son sens, il n'y a plus de raison de dépenser des sommes pareilles dans des missions dangereuses et qui n'apportent rien (sur le plan financier évidemment, l'apport intellectuel est on le sait par contre absolument gigantesque, les missions Apollo ayant contribué par exemple à bouleverser notre compréhension de la Lune et à mieux appréhender les origines du Système solaire). 

Plus encore que le désintérêt politique il y eut aussi un profond désintérêt du grand public, et ce dès Apollo 11 réussie. La mission suivante Apollo 12, pourtant lancée seulement quatre mois plus tard, n'attira pas les foules, le lancement d'Apollo 13 ne fut pas retransmis en direct à la télévision et cette mission n'aurait d'ailleurs jamais eu droit à une grosse couverture médiatique sans l'accident qui empêcha l'alunissage et faillit coûter la vie à ses trois astronautes. Après cela, Apollo 14, 15, 16 et 17 (1971-72), pourtant bien plus intéressantes et plus longues, se déroulèrent dans une indifférence générale, parce que le grand public considérait que la marche de l'Homme sur la Lune était devenue une chose banale et que ces exploits devenaient ennuyeux et inutiles. Le désintérêt politique et grand public ayant suivi Apollo 11 fut tel que les missions Apollo 18, Apollo 19 et Apollo 20 qui devaient terminer le programme lunaire étasunien en apothéose furent annulées pour cause de restrictions budgétaires (j'en ai parlé sur le blog ici et ). L'ambitieux programme AAP qui devait suivre les missions lunaires fut également zappé sans ménagement (mis à part le développement de la station Skylab qui ne sera utilisée qu'un peu plus d'un an en 1973-74). 


La navette spatiale elle-même n'est apparue que pour conserver un noyau industriel dans le secteur car il fallait absolument qu'un minimum d'activité soit maintenu après la fin du programme Apollo. C'est bon pour l'économie et c'est bon pour les élections. 

Malgré les retards, le premier vol d'une navette (Columbia) a lieu le 12 avril 1981. C'est un succès et les missions commencent à se multiplier avec ce nouvel engin. Du coup, un fort sentiment de routine s'installe et les navettes spatiales sont elles aussi rapidement victimes d'une blasitude générale dans le grand public aux Etats-Unis.  

Dans les années 1980, l'espace n'a donc plus beaucoup d’intérêt politique et ne fait plus rêver l'opinion étasunienne. C'est à ce moment-là qu'on en vient à envoyer un dinosaure dans l'espace pour la seule et simple raison que ça permet de faire parler de la mission STS-51-F. Juste ça. La mission n'est pas là pour aider à remettre en avant les dinosaures mais c'est bien la popularité des dinosaures qui vient au secours d'une exploration spatiale qui est perçue comme routinière et qui peine à passionner les foules.  

Mettre un dinosaure dans l'espace n'a pas de réel intérêt scientifique. C'est juste un moyen pour la NASA de faire une belle communication dans les médias, d'autant plus qu'elle doit  défendre l'utilité de la navette spatiale et montrer qu'elle est encore capable d'accomplir des choses malgré des budgets qui ne sont plus ce qu'ils étaient à l'époque du programme Apollo (et qui ne permettent donc pas de monter des projets ambitieux). Comme on ne peut pas compter sur un enjeu politique dans le contexte de l'époque, des idées farfelues comme celle-là parviennent à faire mouche et à intéresser le grand public, et ceux d'autant plus que la NASA vise alors une utilisation à terme beaucoup plus large et régulière des navettes : lancements de satellites et de sondes spatiales, missions de longues durées, récupérations d'engins et autres opérations en EVA, jusqu'à espérer développer le tourisme spatial. Il est donc important de faire comprendre au public pourquoi il faut continuer à investir dans ce programme. 

La NASA a besoin du soutien du contribuable pour faire tout cela et que son message passe, malgré le fait que l'objectif économique de ce programme aurait du mal à tenir le coup (les navettes n'ont été votées sous Nixon que parce qu'elles sont sur le principe moins chères qu'Apollo... mais la réalité sera bien différente) et que l'engin est dangereux au possible (rappelons qu'il y aura au total quatorze morts avec les navettes). 

Une expérience comme l'envoi d'un premier dinosaure dans l'espace sert cet intérêt médiatique et permet d'intéresser le grand public et notamment les enfants à cette mission. De ce point de vue-là, le Maiasaura dans l'espace est un succès. 

Manque de chance, l'accident de Challenger aura lieu l'année suivante. 

Mais comme l'Histoire se répète et qu'une nouvelle blasitude arrivera probablement après l'alunissage de la mission Artémis 3 en 2024, qui sait, peut-être verra-t-on bien tôt un dinosaure sur la Lune...

2028, mission Artémis 7 : un petit pas pour l'Homme, un bond de géant pour la com' à base de dinosaures ? 

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